L’obtention d’un prêt immobilier s’accompagne généralement d’une assurance emprunteur, garantie exigée par les établissements bancaires pour se prémunir contre les risques de non-remboursement. Lors de la souscription, l’assuré doit remplir un questionnaire médical avec une transparence totale sur son état de santé et ses antécédents médicaux. Une omission, qu’elle soit intentionnelle ou non, peut entraîner des conséquences juridiques graves allant de la majoration des primes à la nullité du contrat, en passant par la réduction proportionnelle d’indemnité. Face à ces risques, comprendre les obligations légales de l’assuré, les prérogatives des assureurs et les recours possibles devient primordial pour tout emprunteur souhaitant sécuriser son acquisition immobilière sans s’exposer à une insécurité juridique majeure.
L’obligation légale de déclaration du risque en assurance emprunteur
Le contrat d’assurance prêt immobilier repose sur un principe fondamental : la bonne foi. Ce principe se matérialise par l’obligation de déclaration précontractuelle du risque, inscrite dans le Code des assurances, notamment à l’article L.113-2. Cette disposition impose au futur assuré de répondre avec exactitude aux questions posées par l’assureur, particulièrement celles figurant dans le questionnaire médical. Ce document constitue la pierre angulaire de l’évaluation du risque par l’assureur.
La déclaration du risque ne se limite pas à une simple formalité administrative. Elle représente une phase déterminante du processus de souscription puisqu’elle permet à l’assureur d’apprécier le niveau de risque qu’il accepte de couvrir et, par conséquent, de fixer le montant de la prime d’assurance. Un emprunteur présentant des facteurs de risque élevés, comme des pathologies chroniques ou des antécédents de maladies graves, verra logiquement sa prime majorée par rapport à un profil considéré comme standard.
La jurisprudence a progressivement précisé l’étendue de cette obligation de déclaration. La Cour de cassation a notamment établi que l’assuré doit déclarer tous les éléments connus de lui qui seraient de nature à modifier l’appréciation du risque par l’assureur, même si ces éléments ne font pas l’objet d’une question spécifique dans le questionnaire médical. Néanmoins, la loi Évin et la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) ont apporté des nuances significatives à ce principe, en limitant notamment les questions pouvant être posées par les assureurs.
Limites du devoir de déclaration
Il convient de préciser que le devoir de déclaration n’est pas absolu. L’assuré n’est tenu de déclarer que :
- Les informations explicitement demandées dans le questionnaire
- Les antécédents médicaux dont il a personnellement connaissance
- Les pathologies diagnostiquées par un médecin (et non de simples symptômes non caractérisés)
Par ailleurs, le droit à l’oubli, instauré par la loi du 26 janvier 2016 et renforcé par la loi du 28 février 2022, permet aux personnes ayant souffert de certaines pathologies graves, notamment cancéreuses, de ne plus avoir à les déclarer après un délai déterminé (généralement 5 ans après la fin du protocole thérapeutique pour les cancers diagnostiqués avant l’âge de 21 ans, et 10 ans pour les autres cancers).
Qualification juridique et typologie des omissions déclaratives
En matière d’assurance emprunteur, toutes les omissions déclaratives ne sont pas juridiquement équivalentes. Le Code des assurances opère une distinction fondamentale entre la fausse déclaration intentionnelle (article L.113-8) et la fausse déclaration non intentionnelle (article L.113-9). Cette différenciation détermine la gravité des sanctions encourues et les recours possibles pour l’assuré.
La fausse déclaration intentionnelle suppose une volonté délibérée de tromper l’assureur. Elle se caractérise par la réunion de trois éléments : un élément matériel (l’inexactitude de la déclaration), un élément moral (l’intention frauduleuse) et un lien de causalité entre l’omission et le consentement de l’assureur. Dans ce cas, la mauvaise foi de l’assuré est présumée lorsqu’il omet sciemment de mentionner une pathologie diagnostiquée, un traitement médical en cours, ou minimise la gravité d’une affection connue.
À l’inverse, la fausse déclaration non intentionnelle résulte d’une négligence, d’une méconnaissance ou d’une erreur d’appréciation de l’assuré. Elle peut survenir lorsque l’emprunteur oublie de mentionner un antécédent médical ancien qu’il considérait comme anodin, mal interprète une question du formulaire, ou ignore la portée médicale précise d’un diagnostic antérieur.
Entre ces deux catégories, la jurisprudence a développé une approche nuancée, reconnaissant des situations intermédiaires. Par exemple, dans un arrêt du 15 février 2018, la Cour de cassation a considéré que l’omission d’une pathologie diagnostiquée peu avant la souscription relevait de la fausse déclaration intentionnelle, tandis que l’oubli d’une consultation médicale sans suite datant de plusieurs années pouvait être qualifié de non intentionnel.
Critères d’appréciation du caractère intentionnel
- La chronologie des consultations médicales par rapport à la souscription
- La gravité et la notoriété de la pathologie omise
- La précision et la clarté des questions posées dans le questionnaire
- Le niveau d’instruction et les connaissances médicales présumées de l’assuré
La charge de la preuve du caractère intentionnel de l’omission incombe à l’assureur, qui doit démontrer que l’assuré ne pouvait raisonnablement ignorer l’information non déclarée et que cette omission a modifié son appréciation du risque. Cette preuve peut s’appuyer sur des éléments tels que des dossiers médicaux, des ordonnances, ou des attestations de prise en charge par la Sécurité sociale.
Sanctions juridiques applicables en cas d’omission déclarative
Les conséquences juridiques d’une omission déclarative varient considérablement selon la qualification retenue et le moment où l’inexactitude est découverte. La loi prévoit un arsenal gradué de sanctions, adaptées à la gravité de la faute commise par l’assuré.
En cas de fausse déclaration intentionnelle, l’article L.113-8 du Code des assurances prévoit la sanction la plus sévère : la nullité du contrat. Cette nullité opère rétroactivement, comme si le contrat n’avait jamais existé. Concrètement, l’assureur peut refuser toute prise en charge d’un sinistre, même si celui-ci est sans rapport avec la pathologie non déclarée. De plus, l’assureur conserve les primes déjà versées à titre de dommages et intérêts, et peut même exiger le paiement des primes échues. Pour l’emprunteur, les conséquences sont particulièrement graves : non seulement il se retrouve sans couverture d’assurance, mais l’établissement prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû ou l’obtention d’une nouvelle assurance, souvent à des conditions beaucoup moins favorables.
Pour la fausse déclaration non intentionnelle, l’article L.113-9 prévoit deux types de sanctions, selon que l’inexactitude est découverte avant ou après un sinistre :
- Si la découverte intervient avant tout sinistre, l’assureur peut soit maintenir le contrat moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit résilier le contrat avec un préavis de dix jours et restitution de la portion de prime correspondant à la période non couverte
- Si la découverte intervient après un sinistre, l’assureur peut appliquer la règle proportionnelle d’indemnité : l’indemnisation est réduite proportionnellement au rapport entre la prime payée et celle qui aurait dû être versée si le risque avait été correctement déclaré
La jurisprudence a précisé les modalités d’application de ces sanctions. Dans un arrêt du 7 mars 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que la règle proportionnelle ne peut s’appliquer que si l’assureur démontre que la connaissance exacte du risque l’aurait conduit à percevoir une prime supérieure, et non à refuser purement et simplement la garantie.
Délai d’action de l’assureur
Il est fondamental de noter que l’action en nullité pour fausse déclaration intentionnelle est soumise à la prescription biennale prévue par l’article L.114-1 du Code des assurances. L’assureur dispose donc de deux ans à compter de la découverte de l’omission pour agir, et non à compter de la souscription du contrat. Cette disposition jurisprudentielle offre une certaine sécurité juridique à l’assuré, tout en permettant à l’assureur d’exercer efficacement son droit de contestation.
Stratégies de défense de l’assuré face aux contestations de l’assureur
Face à une accusation de fausse déclaration, l’assuré dispose de plusieurs lignes de défense juridiques pour contester la position de l’assureur. Ces stratégies s’appuient tant sur des arguments de fond que sur des moyens de procédure.
La première ligne de défense consiste à contester le caractère intentionnel de l’omission. L’assuré peut invoquer sa bonne foi en démontrant qu’il ignorait l’importance de l’information non déclarée ou qu’il n’avait pas conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque. Cette défense est particulièrement recevable lorsque la pathologie omise était ancienne, bénigne, ou considérée comme guérie par le médecin traitant. La jurisprudence tend à reconnaître que certaines omissions peuvent résulter d’un oubli légitime plutôt que d’une volonté délibérée de tromper, notamment quand il s’agit d’événements médicaux survenus plusieurs années avant la souscription.
Une deuxième stratégie consiste à mettre en cause la qualité du questionnaire médical proposé par l’assureur. L’article L.112-3 du Code des assurances exige que les questions soient précises et ne laissent place à aucune ambiguïté. Un questionnaire aux formulations vagues ou trop générales peut constituer un argument en faveur de l’assuré. Par exemple, dans un arrêt du 4 février 2016, la Cour de cassation a jugé qu’une question formulée de manière imprécise ne permettait pas à l’assureur de se prévaloir d’une omission déclarative.
L’assuré peut également invoquer l’absence de lien de causalité entre l’antécédent non déclaré et le sinistre survenu. Bien que ce moyen ne soit pas recevable en cas de fausse déclaration intentionnelle (la nullité s’appliquant indépendamment de tout lien causal), il peut être pertinent pour contester l’application de la règle proportionnelle d’indemnité en cas d’omission non intentionnelle. La jurisprudence admet parfois que l’absence de lien entre la pathologie non déclarée et celle ayant entraîné le sinistre peut conduire à une indemnisation intégrale.
Recours aux expertises médicales
L’expertise médicale constitue souvent un élément déterminant dans ces litiges. L’assuré peut solliciter une contre-expertise pour contester les conclusions du médecin conseil de l’assureur, notamment sur :
- L’antériorité réelle de la pathologie par rapport à la souscription
- La gravité effective de l’affection non déclarée
- L’incidence de cette pathologie sur l’espérance de vie ou la capacité de travail
En dernier recours, l’assuré peut invoquer des moyens procéduraux, comme la prescription biennale si l’assureur a tardé à contester la validité du contrat après avoir eu connaissance de l’omission. Cette stratégie s’avère particulièrement efficace lorsque l’assureur a continué à percevoir des primes pendant une période prolongée après avoir découvert l’inexactitude, ce qui peut être interprété comme une renonciation tacite à se prévaloir de la nullité.
Prévention et sécurisation juridique lors de la souscription
La meilleure protection contre les risques juridiques liés aux omissions déclaratives réside dans une approche préventive rigoureuse lors de la phase de souscription. Plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre pour sécuriser juridiquement la démarche de l’emprunteur.
Avant même de compléter le questionnaire médical, il est vivement recommandé de consulter son médecin traitant pour effectuer un bilan complet de son historique médical. Ce professionnel possède une vision globale du dossier médical et peut aider à identifier des antécédents qui pourraient sembler anodins mais revêtir une importance pour l’assureur. Cette démarche permet de réduire considérablement le risque d’omission involontaire. Certains médecins proposent même d’assister leurs patients dans la rédaction du questionnaire, garantissant ainsi une exactitude optimale des informations fournies.
La conservation des preuves de bonne foi constitue également un élément crucial. L’emprunteur avisé conservera systématiquement une copie du questionnaire médical complété, ainsi que tout document attestant de ses démarches pour obtenir des informations précises sur son état de santé. Ces éléments pourront s’avérer déterminants en cas de contestation ultérieure. La jurisprudence accorde en effet une importance particulière aux efforts déployés par l’assuré pour satisfaire à son obligation de déclaration.
Le recours à un courtier spécialisé en assurance emprunteur peut représenter une sécurité supplémentaire. Ce professionnel maîtrise les subtilités des questionnaires médicaux et peut orienter l’emprunteur vers des assureurs dont les formulaires et les pratiques sont adaptés à sa situation médicale spécifique. Il peut également négocier des conditions de couverture personnalisées, limitant ainsi le risque de contestation ultérieure.
Le droit à l’oubli et la grille de référence AERAS
La connaissance et l’utilisation des dispositifs légaux favorables aux emprunteurs constituent un levier de sécurisation juridique non négligeable. Le droit à l’oubli, consacré par la loi et progressivement étendu, permet aux personnes ayant souffert de certaines pathologies de ne plus avoir à les déclarer après un délai déterminé. Parallèlement, la grille de référence AERAS définit, pour certaines pathologies, des conditions d’accès à l’assurance sans surprime ni exclusion de garantie après des délais précis.
- Cancers : absence de déclaration nécessaire après 5 ans sans rechute pour les cancers diagnostiqués avant 21 ans, 10 ans pour les autres
- Hépatite C : absence de déclaration nécessaire après un délai de 48 semaines suivant la fin du traitement avec réponse virologique confirmée
- VIH : conditions d’assurabilité sans surprime ni exclusion sous certaines conditions précisées dans la grille
Enfin, la vigilance lors de la réception du contrat d’assurance permet d’éviter des désagréments futurs. L’emprunteur doit vérifier scrupuleusement que les conditions particulières reflètent fidèlement les informations qu’il a déclarées, et signaler immédiatement toute inexactitude ou omission. Cette démarche proactive témoigne de sa bonne foi et peut constituer un élément déterminant en cas de litige ultérieur.
Perspectives d’évolution du cadre juridique de la déclaration du risque
Le régime juridique encadrant la déclaration du risque en assurance emprunteur connaît des mutations significatives, sous l’impulsion conjointe du législateur, des tribunaux et des évolutions sociétales. Ces transformations dessinent progressivement un équilibre renouvelé entre les intérêts légitimes des assureurs et la protection des emprunteurs.
La tendance législative actuelle s’oriente vers un renforcement des droits des assurés, particulièrement visible à travers l’extension progressive du droit à l’oubli. Initialement limité aux pathologies cancéreuses, ce dispositif tend à s’élargir à d’autres affections chroniques stabilisées ou guéries. La loi du 28 février 2022 marque une avancée significative en réduisant certains délais et en élargissant le périmètre des pathologies concernées. Cette évolution reflète une volonté politique de faciliter l’accès au crédit immobilier pour les personnes ayant connu des problèmes de santé, sans pour autant nier la légitimité du principe de déclaration du risque.
Parallèlement, la jurisprudence développe une interprétation de plus en plus nuancée de la notion de fausse déclaration intentionnelle. Les tribunaux tendent à apprécier avec une rigueur croissante les éléments constitutifs de l’intention frauduleuse, exigeant des assureurs qu’ils démontrent de manière irréfutable la mauvaise foi de l’assuré. Cette évolution jurisprudentielle se manifeste notamment par une attention accrue portée à la formulation des questionnaires médicaux et à la charge de la preuve pesant sur l’assureur.
L’émergence de nouvelles technologies médicales et de moyens d’investigation génétique soulève des questions inédites quant à l’étendue de l’obligation de déclaration. Le législateur français a adopté une position protectrice en interdisant, par la loi du 4 mars 2002, l’utilisation des tests génétiques à des fins d’assurance. Cette prohibition, confirmée par le Code civil et le Code pénal, vise à prévenir les discriminations fondées sur le patrimoine génétique et à préserver le principe de mutualisation du risque, fondement du système assurantiel.
Vers une standardisation européenne ?
La dimension européenne constitue un facteur d’évolution potentiel du cadre juridique national. Bien que l’assurance demeure largement régie par les droits nationaux, certaines initiatives tendent à harmoniser les pratiques au niveau européen. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) a déjà renforcé les exigences relatives au traitement des données de santé par les assureurs. Des réflexions sont en cours au niveau des instances européennes pour définir un cadre commun concernant l’utilisation des informations médicales dans les contrats d’assurance.
- Renforcement prévisible du droit à l’oubli pour davantage de pathologies
- Développement possible d’un droit à la rectification des informations médicales dans les contrats d’assurance en cours
- Émergence probable de nouvelles protections contre les discriminations fondées sur l’état de santé
Ces évolutions dessinent un avenir où l’équilibre entre la nécessaire transparence dans la déclaration du risque et la protection des emprunteurs vulnérables sera redéfini. L’enjeu majeur consistera à préserver la viabilité économique du système assurantiel tout en garantissant un accès équitable au crédit immobilier, composante fondamentale du parcours patrimonial des ménages.
