Sanctions pour pratiques discriminatoires dans les marchés publics : un enjeu majeur de transparence et d’équité

La lutte contre les discriminations dans les achats publics constitue un pilier fondamental de l’intégrité et de l’efficacité de la commande publique. Face aux enjeux économiques et sociaux considérables, le législateur a mis en place un arsenal juridique visant à sanctionner les pratiques discriminatoires. Ces sanctions, aux formes multiples, visent à garantir l’égalité de traitement entre les candidats et à préserver la concurrence loyale. Examinons en détail ce dispositif complexe qui façonne le paysage des marchés publics en France.

Le cadre légal des sanctions pour discrimination dans les achats publics

Le Code de la commande publique et diverses lois connexes encadrent strictement les pratiques discriminatoires dans les marchés publics. L’article L. 2141-4 du Code de la commande publique pose le principe fondamental de non-discrimination et d’égalité de traitement des candidats. Les sanctions prévues en cas de violation de ce principe s’articulent autour de plusieurs axes :

  • Sanctions administratives
  • Sanctions pénales
  • Sanctions civiles
  • Exclusion des procédures de passation

Le juge administratif joue un rôle central dans l’application de ces sanctions, notamment via le référé précontractuel et le recours en annulation. La jurisprudence du Conseil d’État a progressivement précisé les contours de la notion de discrimination dans ce contexte spécifique.

Par ailleurs, la loi Sapin II du 9 décembre 2016 a renforcé les dispositifs de prévention et de répression de la corruption dans la commande publique, incluant les pratiques discriminatoires. Elle a notamment créé l’Agence française anticorruption (AFA), dotée de pouvoirs de contrôle et de sanction.

Les sanctions administratives : un levier puissant contre les discriminations

Les sanctions administratives constituent le premier niveau de réponse aux pratiques discriminatoires dans les achats publics. Elles peuvent être prononcées par différentes autorités :

L’Autorité de la concurrence peut infliger des amendes administratives pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre (article L. 464-2 du Code de commerce).

Le préfet peut prononcer des sanctions financières à l’encontre des acheteurs publics ayant commis des manquements à leurs obligations en matière de publicité et de mise en concurrence (article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales).

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) peut être saisie en cas de refus de communication de documents relatifs à la passation d’un marché public, ce qui peut révéler des pratiques discriminatoires.

Ces sanctions administratives présentent l’avantage d’une mise en œuvre relativement rapide et peuvent avoir un effet dissuasif significatif. Elles s’accompagnent souvent d’une obligation de publication, renforçant ainsi leur impact réputationnel sur les entreprises concernées.

Le rôle de l’Agence française anticorruption

L’AFA, créée par la loi Sapin II, dispose de pouvoirs de contrôle et de sanction en matière de prévention et de détection des faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Dans le cadre des marchés publics, elle peut :

  • Contrôler la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre par les acteurs publics et privés
  • Adresser des avertissements aux représentants des entités contrôlées
  • Saisir la Commission des sanctions en cas de manquement constaté

La Commission des sanctions de l’AFA peut prononcer des sanctions pécuniaires allant jusqu’à 200 000 € pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales, ainsi que des injonctions de mise en conformité.

Les sanctions pénales : une réponse ferme aux infractions les plus graves

Le Code pénal prévoit plusieurs infractions spécifiques aux marchés publics, dont certaines visent directement les pratiques discriminatoires :

Le délit de favoritisme (article 432-14 du Code pénal) punit de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 € d’amende le fait de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics.

La prise illégale d’intérêts (article 432-12 du Code pénal) sanctionne le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

La corruption et le trafic d’influence (articles 432-11 et 433-1 du Code pénal) peuvent également être caractérisés dans le cadre de pratiques discriminatoires liées aux marchés publics.

Ces infractions sont punies de peines d’emprisonnement et d’amendes conséquentes, pouvant être assorties de peines complémentaires telles que l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle.

Le rôle du Parquet national financier

Créé en 2013, le Parquet national financier (PNF) est compétent pour les affaires de grande complexité en matière d’atteintes à la probité, dont font partie les infractions liées aux marchés publics. Son action a permis de renforcer la lutte contre les pratiques discriminatoires dans ce domaine, notamment grâce à :

  • Une expertise technique accrue
  • Des moyens d’investigation renforcés
  • Une coopération internationale facilitée

Le PNF peut mettre en œuvre des techniques spéciales d’enquête, telles que la surveillance, l’infiltration ou les interceptions de correspondances, pour détecter et prouver les infractions liées aux marchés publics.

Les sanctions civiles : réparer le préjudice et rétablir l’équité

Au-delà des sanctions administratives et pénales, les pratiques discriminatoires dans les marchés publics peuvent donner lieu à des actions en responsabilité civile. Les entreprises victimes de discrimination peuvent ainsi demander réparation du préjudice subi.

Le juge administratif est compétent pour connaître des litiges relatifs à la passation et à l’exécution des marchés publics. Il peut :

  • Annuler la procédure de passation du marché
  • Ordonner la reprise de la procédure au stade où l’irrégularité a été commise
  • Condamner l’acheteur public à indemniser le candidat évincé du fait de pratiques discriminatoires

La responsabilité pour faute de l’administration peut être engagée sur le fondement de l’article L. 6 du Code de la commande publique, qui pose le principe de l’égalité de traitement des candidats. Le préjudice indemnisable peut comprendre :

  • La perte de chance de remporter le marché
  • Les frais engagés pour participer à la procédure
  • Le manque à gagner

Par ailleurs, les actions de groupe introduites par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle offrent de nouvelles perspectives pour lutter contre les discriminations systémiques dans les marchés publics. Elles permettent à des associations agréées d’agir en justice au nom d’un groupe de victimes pour obtenir la cessation d’un manquement et la réparation des préjudices subis.

L’exclusion des procédures de passation : une sanction préventive efficace

L’exclusion des procédures de passation des marchés publics constitue une sanction particulièrement dissuasive pour les entreprises. L’article L. 2141-4 du Code de la commande publique prévoit plusieurs cas d’exclusion obligatoire, notamment :

  • Condamnation définitive pour certaines infractions (travail illégal, discrimination, etc.)
  • Non-respect des obligations en matière fiscale ou sociale
  • Liquidation judiciaire

L’acheteur public peut également exclure de la procédure de passation :

  • Les personnes qui ont entrepris d’influencer indûment le processus décisionnel de l’acheteur
  • Les personnes qui ont fourni des informations trompeuses
  • Les personnes qui ont déjà commis des manquements graves ou persistants à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un marché public précédent

Cette exclusion peut être prononcée pour une durée maximale de trois ans. Elle s’applique à l’ensemble des marchés publics, ce qui en fait une sanction particulièrement redoutée par les entreprises.

Le mécanisme de « self-cleaning »

Introduit par l’ordonnance du 23 juillet 2015, le mécanisme de « self-cleaning » permet aux entreprises exclues de démontrer leur fiabilité et de réintégrer les procédures de passation. Pour cela, elles doivent prouver qu’elles ont :

  • Pris des mesures concrètes pour prévenir la récidive
  • Clarifié les faits et les circonstances de manière exhaustive en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête
  • Réparé le dommage causé

Ce mécanisme vise à encourager les entreprises à adopter des comportements vertueux et à mettre en place des programmes de conformité efficaces.

Vers une approche plus intégrée et préventive des sanctions

Face à la complexité croissante des pratiques discriminatoires dans les marchés publics, une approche plus intégrée et préventive des sanctions se dessine. Plusieurs pistes sont explorées pour renforcer l’efficacité du dispositif :

Le développement de programmes de conformité au sein des entreprises et des administrations, encouragé par l’AFA, vise à prévenir les comportements répréhensibles en amont. Ces programmes incluent généralement :

  • Une cartographie des risques
  • Un code de conduite
  • Un dispositif d’alerte interne
  • Des formations pour les personnels exposés

Le renforcement de la coopération internationale est crucial pour lutter contre les pratiques discriminatoires transfrontalières. Les échanges d’informations entre autorités nationales et la mise en place de sanctions coordonnées permettent d’accroître l’efficacité des poursuites.

L’utilisation accrue des technologies numériques, notamment l’intelligence artificielle et le big data, offre de nouvelles perspectives pour détecter les schémas de discrimination complexes dans les marchés publics. Des outils d’analyse prédictive peuvent aider à identifier les comportements suspects et à cibler les contrôles.

La promotion de la transparence et de l’open data dans la commande publique contribue à prévenir les pratiques discriminatoires en facilitant le contrôle citoyen et l’analyse des données relatives aux marchés publics.

Enfin, le développement de mécanismes de récompense pour les entreprises vertueuses, tels que des labels ou des avantages dans l’accès aux marchés publics, pourrait compléter l’approche punitive traditionnelle et inciter à l’adoption de bonnes pratiques.

En définitive, l’évolution du régime des sanctions pour pratiques discriminatoires dans les achats publics témoigne d’une prise de conscience accrue de l’importance de l’intégrité dans ce domaine. La combinaison de sanctions dissuasives, de mécanismes préventifs et d’incitations positives dessine les contours d’un système plus efficace et adapté aux enjeux contemporains de la commande publique.