Le financement entre associations : enjeux et cadre juridique des prêts

Dans un contexte économique tendu, les organismes sans but lucratif (OSBL) cherchent des solutions innovantes pour maintenir leurs activités. Les opérations de trésorerie entre structures associatives représentent une alternative méconnue mais prometteuse. Ces mécanismes de solidarité financière permettent aux associations disposant de réserves d’aider celles traversant des difficultés temporaires. Pourtant, ce système reste encadré par un dispositif juridique strict que dirigeants et trésoriers doivent maîtriser pour éviter tout risque. Quelles sont les règles régissant ces prêts inter-associatifs? Comment sécuriser ces opérations tout en préservant la mission sociale des OSBL?

Le cadre juridique des prêts entre organismes sans but lucratif

Les OSBL (associations, fondations, fonds de dotation) sont soumis à un cadre juridique spécifique concernant les opérations de trésorerie qu’ils peuvent réaliser entre eux. La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ne mentionne pas explicitement la possibilité pour une association de prêter des fonds à une autre structure. Cette absence a longtemps généré une zone grise juridique.

La loi ESS du 31 juillet 2014 a apporté une clarification majeure en autorisant officiellement les prêts entre associations appartenant à un même ensemble. L’article 81 de cette loi stipule que « les associations et fondations reconnues d’utilité publique peuvent consentir des prêts à d’autres associations ou fondations avec lesquelles elles entretiennent des liens établis pour concourir à la réalisation de leur objet social. »

Cette disposition a ensuite été étendue par l’ordonnance n°2015-904 du 23 juillet 2015 qui a élargi cette faculté à l’ensemble des associations déclarées depuis au moins trois ans. Ces textes ont donc levé l’incertitude juridique qui pesait sur ces pratiques, tout en les encadrant strictement.

Le Code monétaire et financier joue également un rôle central dans la régulation de ces opérations. L’article L511-6 précise les conditions dans lesquelles une association peut prêter à une autre sans tomber sous le coup du monopole bancaire. Ce monopole réserve normalement l’activité de crédit aux établissements agréés (banques et établissements de crédit).

Pour être légal, un prêt entre OSBL doit respecter plusieurs conditions cumulatives :

  • L’association prêteuse doit être déclarée depuis au moins trois ans
  • Le prêt doit être en lien avec l’objet social des deux structures
  • Une convention écrite doit formaliser l’opération
  • Le prêt ne doit pas constituer l’activité principale de l’association prêteuse
  • Les intérêts éventuels doivent rester raisonnables

La jurisprudence a progressivement précisé ces notions. Un arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 2017 a notamment rappelé que le non-respect de ces conditions peut entraîner la requalification de l’opération en exercice illégal de la profession bancaire, passible de sanctions pénales (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende).

Les modalités pratiques des opérations de trésorerie

La mise en place d’opérations de trésorerie entre OSBL nécessite de suivre un processus rigoureux pour garantir leur conformité juridique et leur sécurité financière. La première étape consiste en une délibération formelle des organes de gouvernance (conseil d’administration, assemblée générale) tant de l’association prêteuse que de l’association emprunteuse. Cette validation interne constitue une protection pour les dirigeants associatifs.

La rédaction d’une convention de prêt est l’étape cruciale qui formalise l’opération. Ce document contractuel doit préciser :

  • L’identité précise des parties
  • Le montant exact du prêt
  • La durée et les modalités de remboursement
  • Le taux d’intérêt éventuel
  • Les garanties apportées par l’emprunteur
  • Les conditions de résiliation ou de remboursement anticipé
  • La justification du lien avec l’objet social des deux structures

La question du taux d’intérêt mérite une attention particulière. Si la loi n’interdit pas qu’un prêt entre associations soit rémunéré, ce taux doit rester raisonnable pour ne pas dénaturer le caractère non lucratif de l’opération. La Direction Générale des Finances Publiques considère généralement qu’un taux aligné sur celui du marché interbancaire (EONIA ou EURIBOR) majoré de quelques points est acceptable. Un taux manifestement excessif pourrait être requalifié en activité lucrative et entraîner des conséquences fiscales.

La durée du prêt est également un paramètre important. Les prêts de courte durée (quelques mois) sont généralement considérés comme des avances de trésorerie et posent moins de difficultés juridiques. Les prêts de longue durée (plusieurs années) s’apparentent davantage à un financement structurel et nécessitent une justification plus solide du lien avec l’objet social.

Le suivi comptable de ces opérations requiert une attention particulière. L’association prêteuse doit inscrire le prêt à l’actif de son bilan (compte 274 « Prêts »), tandis que l’association emprunteuse l’enregistre au passif (compte 164 « Emprunts auprès d’établissements de crédit »). Les intérêts sont comptabilisés en produits financiers pour l’une et en charges financières pour l’autre.

Les bonnes pratiques de gestion des risques

La mise en place d’un prêt inter-associatif comporte des risques qu’il convient d’anticiper. L’association prêteuse doit évaluer la solvabilité de l’emprunteur en analysant ses états financiers (bilan, compte de résultat, budget prévisionnel). Une analyse de risque documentée est fortement recommandée.

La constitution de garanties peut sécuriser l’opération : nantissement de matériel, caution personnelle des dirigeants, garantie sur subventions à recevoir. Ces mécanismes restent toutefois complexes à mettre en œuvre dans le monde associatif et doivent être adaptés au contexte.

Les avantages et limites du financement inter-associatif

Les opérations de trésorerie entre OSBL présentent de nombreux avantages par rapport aux financements bancaires traditionnels. Elles permettent une souplesse accrue dans les conditions d’octroi, particulièrement appréciable pour les petites structures qui peinent parfois à convaincre les banques. Les délais d’obtention sont généralement plus courts, ce qui peut s’avérer décisif en cas de difficulté passagère.

La solidarité associative qui s’exprime à travers ces prêts renforce les liens au sein du secteur non lucratif et contribue à la résilience globale de l’écosystème. Dans certains secteurs d’activité (culture, insertion, environnement), des réseaux d’entraide financière se sont ainsi constitués, permettant une circulation plus fluide des ressources.

Sur le plan financier, ces opérations peuvent générer une optimisation des ressources. Une association disposant d’une trésorerie excédentaire peut ainsi obtenir un rendement supérieur à celui des placements bancaires classiques, tout en aidant une structure partageant ses valeurs. L’association emprunteuse, quant à elle, bénéficie généralement de conditions plus avantageuses que celles proposées par les établissements financiers.

Néanmoins, ces pratiques comportent des limites qu’il serait imprudent d’ignorer. Le risque de non-remboursement existe et peut mettre en péril la situation financière de l’association prêteuse. Contrairement aux banques qui provisionnent systématiquement pour ces risques, les associations disposent rarement des réserves suffisantes pour absorber une perte significative.

Des tensions relationnelles peuvent également apparaître en cas de difficultés de remboursement. La dimension affective et militante qui caractérise souvent les relations inter-associatives peut compliquer la gestion d’un contentieux financier. Comment concilier l’exigence légitime de remboursement avec les valeurs de solidarité ?

Enfin, la gouvernance associative n’est pas toujours adaptée à la gestion de ces opérations financières. Les administrateurs bénévoles peuvent manquer d’expertise pour évaluer correctement les risques, ce qui engage potentiellement leur responsabilité personnelle.

Les alternatives aux prêts directs

Face à ces contraintes, des alternatives aux prêts directs se sont développées. Les fonds de dotation territoriaux peuvent jouer un rôle d’intermédiaire, en collectant des ressources auprès de plusieurs associations pour les redistribuer sous forme de prêts. Cette mutualisation dilue le risque et professionnalise le processus d’octroi.

Les fondations spécialisées dans le financement de l’économie sociale et solidaire proposent également des dispositifs innovants. La Fondation de France a ainsi créé des fonds dédiés au soutien de la trésorerie associative, combinant prêts et accompagnement.

Études de cas et retours d’expérience

L’examen de situations concrètes permet d’illustrer les enjeux pratiques des prêts entre OSBL. Le réseau ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Économique) a mis en place un système de prêts internes entre ses antennes régionales pour faire face aux variations saisonnières d’activité. Chaque antenne conserve son autonomie juridique tout en bénéficiant de la solidarité du réseau.

Dans le secteur culturel, plusieurs SCIC (Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif) ont développé des mécanismes de mutualisation financière. La SCIC Culture et Coopération à Saint-Étienne permet ainsi à ses membres associatifs de bénéficier d’avances de trésorerie, sécurisées par une convention-cadre validée par leurs conseils d’administration respectifs.

Le secteur médico-social offre également des exemples intéressants. Plusieurs associations gérant des établissements de santé ont formalisé des conventions de trésorerie pour faire face aux retards de versement des financements publics. Ces associations partagent souvent des administrateurs communs, ce qui facilite la gouvernance de ces opérations.

Ces expériences réussies partagent plusieurs caractéristiques : une formalisation rigoureuse des procédures, une évaluation objective des risques, et une communication transparente avec les parties prenantes (financeurs publics, adhérents, bénéficiaires).

À l’inverse, des situations problématiques ont pu survenir lorsque ces précautions n’étaient pas prises. Une association culturelle de la région parisienne a ainsi été mise en difficulté après avoir accordé un prêt important à une structure partenaire sans convention écrite ni garanties. Le non-remboursement a entraîné une crise de gouvernance et le départ de plusieurs administrateurs.

Les recommandations des experts

Face à ces enjeux, les experts-comptables spécialisés dans le secteur associatif recommandent plusieurs mesures de précaution :

  • Limiter le montant des prêts accordés à une fraction raisonnable des fonds propres (généralement 10 à 15%)
  • Diversifier les emprunteurs pour ne pas concentrer le risque
  • Prévoir un échéancier de remboursement compatible avec les besoins de trésorerie prévisionnels
  • Faire valider les opérations importantes par l’assemblée générale
  • Informer les principaux financeurs de ces opérations

Les juristes soulignent l’importance de vérifier les statuts des associations concernées. Certains statuts-types interdisent explicitement les opérations de prêt ou les soumettent à des conditions particulières. Une modification statutaire peut s’avérer nécessaire avant d’envisager ces pratiques.

Perspectives et évolutions du cadre réglementaire

Le cadre juridique des prêts entre OSBL continue d’évoluer sous l’influence de plusieurs facteurs. La transformation numérique du secteur associatif favorise l’émergence de plateformes de financement participatif spécialisées. Ces plateformes facilitent la mise en relation entre associations prêteuses et emprunteuses, tout en standardisant les procédures.

La crise sanitaire de 2020-2021 a révélé l’importance de ces mécanismes de solidarité financière. De nombreuses associations ont pu survivre grâce à des avances de trésorerie consenties par d’autres structures. Cette expérience pourrait inciter le législateur à assouplir encore les conditions d’octroi de ces prêts.

Au niveau européen, la reconnaissance progressive de l’économie sociale et solidaire comme secteur économique à part entière pourrait conduire à l’harmonisation des règles applicables aux financements inter-associatifs. Le Plan d’action pour l’économie sociale présenté par la Commission européenne en décembre 2021 évoque ainsi la nécessité de faciliter l’accès aux financements pour les structures de l’ESS.

Plusieurs évolutions réglementaires sont actuellement en discussion :

  • L’extension du dispositif aux associations récemment créées (moins de trois ans) lorsqu’elles sont parrainées par une structure plus ancienne
  • La création d’un fonds de garantie spécifique pour sécuriser ces opérations
  • L’allègement des obligations déclaratives pour les prêts de faible montant
  • La reconnaissance d’un statut d’intermédiaire financier associatif

Ces perspectives témoignent d’une prise de conscience croissante du potentiel que représentent ces mécanismes de financement alternatif pour le secteur non lucratif.

Les prêts et opérations de trésorerie entre organismes sans but lucratif représentent une solution innovante face aux défis financiers du secteur associatif. Encadrés par un dispositif juridique qui s’est progressivement clarifié, ces mécanismes permettent d’optimiser la gestion des ressources tout en renforçant les liens de solidarité. Pour autant, leur mise en œuvre requiert rigueur et précaution afin de préserver la mission sociale des structures concernées. À l’heure où le financement du secteur non lucratif connaît d’importantes mutations, ces pratiques méritent d’être mieux connues et maîtrisées par les dirigeants associatifs.