La réforme des marchés de croissance des PME bouleverse le paysage financier français. Face aux défis de financement des petites et moyennes entreprises, les nouvelles mesures visent à dynamiser la liquidité des titres tout en renforçant la gouvernance des sociétés anonymes. Entre allègements réglementaires et protection des investisseurs, cette évolution répond à un double impératif : stimuler l’accès au capital pour les entreprises innovantes et garantir la transparence des marchés. Alors que l’économie cherche de nouveaux relais de croissance, ces adaptations juridiques pourraient bien redessiner l’avenir du financement des PME en France.
L’évolution du cadre juridique des marchés de croissance des PME
Le concept de marché de croissance des PME a été introduit par la directive MiFID II transposée en droit français en 2018. Cette catégorie spécifique de plateforme de négociation vise à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises aux financements par les marchés de capitaux. En France, Euronext Growth constitue l’exemple phare de ces marchés dédiés, offrant un cadre réglementaire allégé par rapport au marché réglementé principal.
La récente loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) a considérablement renforcé l’attractivité de ces marchés en introduisant plusieurs mesures favorisant la liquidité des titres. Parmi ces innovations juridiques figure notamment l’adaptation des obligations d’information, permettant aux PME de communiquer selon un calendrier semestriel plutôt que trimestriel, allégeant ainsi leur charge administrative.
Le règlement Prospectus a parallèlement évolué pour ces marchés spécifiques, avec un seuil relevé à 8 millions d’euros pour l’obligation d’établir un prospectus lors d’une offre au public. Cette modification substantielle réduit les coûts d’accès au marché pour de nombreuses entreprises en phase de développement.
La Commission européenne poursuit son travail d’harmonisation avec l’Union des marchés de capitaux qui vise à fluidifier les investissements transfrontaliers. Dans ce cadre, les marchés de croissance PME bénéficient d’une attention particulière, avec un régime dérogatoire pour les opérations d’initiés et la divulgation d’informations privilégiées, adapté à leur taille et leurs ressources.
Un autre aspect fondamental de cette évolution juridique concerne la définition même d’une PME éligible à ces marchés. La réglementation européenne considère comme PME une entreprise dont la capitalisation boursière est inférieure à 200 millions d’euros, mais des discussions sont en cours pour réévaluer ce seuil à la hausse, afin d’inclure davantage d’entreprises de taille intermédiaire dans le dispositif.
Les mécanismes de renforcement de la liquidité des titres
La liquidité des titres représente un enjeu majeur pour les entreprises cotées sur les marchés de croissance PME. Un titre liquide peut être acheté ou vendu rapidement sans impact significatif sur son prix, ce qui attire davantage d’investisseurs et réduit le coût du capital pour l’entreprise. Plusieurs dispositifs ont été mis en place ou renforcés pour améliorer cette liquidité.
Le contrat de liquidité constitue l’un des principaux outils à la disposition des sociétés cotées pour dynamiser les échanges sur leurs titres. Ce mécanisme, encadré par la pratique de marché admise de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), permet à une entreprise de mandater un prestataire de services d’investissement pour intervenir en son nom et pour son compte sur le marché secondaire. En avril 2021, l’AMF a assoupli les conditions d’utilisation de ces contrats pour les valeurs peu liquides, notamment en augmentant les limites de ressources allouables.
Le développement des programmes de rachat d’actions a été facilité sur ces marchés, avec un régime simplifié par rapport au marché réglementé. Ces programmes permettent aux sociétés d’acquérir leurs propres titres, créant ainsi une demande supplémentaire et soutenant leur cours. Le Code de commerce autorise désormais ces opérations dans une limite portée à 10% du capital social pour une durée maximale de 18 mois.
L’introduction des analystes financiers indépendants subventionnés représente une innovation majeure. Face au désengagement progressif des grandes maisons de courtage dans la couverture des petites valeurs, le législateur a prévu des incitations pour que des analyses financières indépendantes soient produites sur les PME cotées, améliorant ainsi leur visibilité auprès des investisseurs institutionnels et particuliers.
La mise en place de market makers (teneurs de marché) spécialisés dans les valeurs moyennes contribue significativement à l’animation du marché. Ces intermédiaires s’engagent à fournir en permanence des prix à l’achat et à la vente, réduisant ainsi les écarts de cotation (spreads) et garantissant une certaine profondeur de marché.
Les innovations technologiques au service de la liquidité
Les avancées technologiques transforment également l’approche de la liquidité sur ces marchés. L’utilisation croissante des plateformes de trading algorithmique permet d’optimiser l’exécution des ordres même sur des titres peu liquides. Ces systèmes, autrefois réservés aux grandes valeurs, deviennent progressivement accessibles aux PME cotées.
La tokenisation des actifs représente une piste d’avenir explorée par plusieurs places financières européennes. En transformant les titres traditionnels en tokens numériques, cette technologie pourrait réduire les coûts de transaction et faciliter le fractionnement des titres, rendant l’investissement plus accessible.
- Développement de plateformes dédiées aux investisseurs particuliers ciblant spécifiquement les PME cotées
- Mise en place de mécanismes d’incitation fiscale pour les investissements dans les PME innovantes
- Création d’indices spécifiques permettant une meilleure visibilité des performances des marchés de croissance
- Organisation de roadshows et événements dédiés à la rencontre entre PME cotées et investisseurs
La transformation de la gouvernance des sociétés anonymes
La gouvernance des sociétés anonymes cotées sur les marchés de croissance PME connaît une profonde mutation, à la croisée des impératifs de souplesse et de protection des investisseurs. Le Code de commerce a été significativement modifié pour adapter les règles de gouvernance à la réalité de ces entreprises en développement.
L’une des évolutions majeures concerne la composition des conseils d’administration. Si le nombre minimal d’administrateurs reste fixé à trois, les contraintes relatives à leur indépendance ont été assouplies pour les sociétés cotées sur les marchés de croissance PME. Néanmoins, l’AFEP-MEDEF et Middlenext recommandent dans leurs codes de gouvernance respectifs d’intégrer progressivement des administrateurs indépendants, garants d’une vision objective et d’une protection des actionnaires minoritaires.
La question de la parité hommes-femmes au sein des instances dirigeantes a connu des avancées significatives. La loi Copé-Zimmermann, qui impose un quota minimum de 40% de femmes dans les conseils d’administration, s’applique désormais de manière graduée aux sociétés cotées sur les marchés de croissance PME, avec un calendrier adapté à leur taille. Cette extension témoigne d’une volonté d’harmoniser progressivement les pratiques de gouvernance entre tous les types de marchés.
Les comités spécialisés (audit, rémunération, nominations) font l’objet d’un traitement différencié. Si leur mise en place reste obligatoire pour les sociétés dépassant certains seuils, les entreprises plus modestes peuvent bénéficier d’exemptions ou opter pour une organisation simplifiée, le conseil d’administration pouvant par exemple exercer directement les fonctions dévolues au comité d’audit.
La rémunération des dirigeants constitue un autre domaine où le législateur a cherché un équilibre entre transparence et simplification. Le dispositif dit de « say on pay » (vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants) s’applique selon des modalités adaptées, avec une information moins détaillée mais néanmoins substantielle sur les politiques de rémunération.
L’équilibre entre protection des actionnaires et agilité entrepreneuriale
La protection des actionnaires minoritaires demeure une préoccupation centrale, avec le maintien de garde-fous essentiels comme les conventions réglementées. Ces transactions entre la société et ses dirigeants ou actionnaires significatifs restent soumises à autorisation préalable du conseil d’administration et approbation par l’assemblée générale, garantissant ainsi la transparence des opérations potentiellement conflictuelles.
Les obligations en matière de contrôle interne et de gestion des risques ont été adaptées pour tenir compte des ressources limitées des PME. Le rapport sur le gouvernement d’entreprise peut ainsi être présenté sous une forme simplifiée, tout en maintenant les informations essentielles relatives aux procédures de contrôle.
L’introduction du statut de société à mission par la loi PACTE offre aux entreprises cotées sur ces marchés une opportunité de définir statutairement leur raison d’être et leurs objectifs sociaux et environnementaux. Cette innovation juridique répond aux attentes croissantes des investisseurs en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), devenue un critère d’investissement à part entière.
- Adaptation des exigences de reporting extra-financier pour les PME cotées
- Développement de formations spécifiques pour les administrateurs de sociétés cotées sur les marchés de croissance
- Mise en place de guides pratiques de gouvernance adaptés aux spécificités des PME
- Encouragement des pratiques de dialogue actionnarial direct entre dirigeants et investisseurs
L’impact sur le financement et le développement des PME
L’assouplissement du cadre réglementaire des marchés de croissance PME et les évolutions en matière de gouvernance ont des répercussions concrètes sur le financement et le développement des entreprises concernées. Ces modifications visent à répondre au « equity gap » (déficit de financement en fonds propres) qui affecte traditionnellement les PME européennes par rapport à leurs homologues américaines.
Les données récentes montrent une augmentation significative du nombre d’introductions en bourse (IPO) sur Euronext Growth. En 2021, ce marché a accueilli plus de nouvelles sociétés que le marché réglementé d’Euronext Paris, témoignant de son attractivité croissante. Les montants levés lors de ces opérations atteignent désormais régulièrement plusieurs dizaines de millions d’euros, permettant aux entreprises de financer des stratégies ambitieuses de croissance organique ou externe.
Les opérations secondaires (augmentations de capital post-introduction) bénéficient également de conditions plus favorables. La simplification des procédures et l’allègement des obligations de documentation permettent aux sociétés de réaliser ces opérations plus rapidement et à moindre coût. Cette agilité financière constitue un avantage compétitif majeur dans des secteurs en rapide évolution comme les technologies ou les biotechnologies.
L’amélioration de la liquidité facilite par ailleurs l’utilisation des titres comme monnaie d’échange lors d’opérations de croissance externe. Les PME cotées peuvent ainsi proposer à leurs cibles d’acquisition un paiement partiel en actions, préservant leur trésorerie tout en associant les entrepreneurs rejoignant le groupe au projet d’ensemble.
Le développement des instruments financiers hybrides, comme les obligations convertibles ou les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), s’accélère sur ces marchés. Ces produits, qui combinent les caractéristiques de la dette et des fonds propres, offrent une flexibilité accrue aux entreprises et répondent aux attentes d’investisseurs recherchant des profils rendement/risque intermédiaires.
L’internationalisation des PME cotées
L’accès aux marchés de capitaux favorise l’internationalisation des PME françaises. La visibilité acquise lors de la cotation et la crédibilité associée au statut d’entreprise cotée facilitent l’approche des clients et partenaires étrangers. Les fonds levés permettent par ailleurs de financer l’implantation dans de nouveaux territoires, souvent coûteuse et longue à rentabiliser.
L’attraction d’investisseurs internationaux constitue un autre bénéfice tangible. Si les marchés de croissance PME attirent encore principalement des investisseurs domestiques, on observe une diversification progressive de l’actionnariat avec l’arrivée de fonds spécialisés européens et parfois nord-américains, apportant non seulement des capitaux mais aussi une expertise et des réseaux internationaux.
- Création de fonds d’investissement spécialisés dans les PME cotées innovantes
- Développement de programmes d’accompagnement post-introduction pour optimiser les bénéfices de la cotation
- Mise en place de passerelles facilitant le passage d’Euronext Growth vers le marché réglementé pour les entreprises en forte croissance
- Renforcement des collaborations entre écosystèmes financiers européens pour créer un véritable marché de croissance continental
Les défis et perspectives d’avenir
Malgré les avancées significatives, plusieurs défis persistent pour les marchés de croissance PME et leurs acteurs. Le premier concerne la polarisation des investissements vers un nombre restreint de secteurs perçus comme porteurs (technologies, santé) au détriment d’industries plus traditionnelles mais néanmoins innovantes. Cette concentration sectorielle limite la diversification des portefeuilles et peut créer des bulles valorisatives.
La volatilité accrue des cours sur ces marchés moins liquides reste une préoccupation majeure. Les mouvements de prix parfois excessifs par rapport aux fondamentaux économiques peuvent décourager certains investisseurs institutionnels recherchant stabilité et prévisibilité. Les mécanismes de renforcement de la liquidité évoqués précédemment visent précisément à atténuer cette volatilité structurelle.
L’équilibre entre allègement réglementaire et protection des investisseurs constitue un exercice délicat pour le législateur et le régulateur. Si la simplification des obligations est nécessaire pour attirer les PME vers la cotation, une réglementation trop souple pourrait fragiliser la confiance des investisseurs, élément fondamental du bon fonctionnement des marchés.
La concurrence des financements alternatifs, notamment le capital-risque et le private equity, s’intensifie avec des fonds disposant de liquidités abondantes et prêts à valoriser généreusement les entreprises prometteuses. Ces circuits de financement privés offrent l’avantage d’éviter les contraintes de la cotation, mais privent les entrepreneurs des bénéfices de la discipline de marché et de la liquidité pour leurs titres.
La question de l’éducation financière des dirigeants de PME et des investisseurs particuliers représente un autre défi significatif. La compréhension des mécanismes de marché, des obligations associées à la cotation et des stratégies de communication financière reste inégale, nécessitant des efforts pédagogiques soutenus de la part des régulateurs et des places de marché.
Les innovations réglementaires en préparation
Face à ces défis, plusieurs pistes d’évolution sont à l’étude au niveau français et européen. La Commission européenne travaille sur une révision du cadre applicable aux marchés de croissance PME dans le cadre de l’Union des marchés de capitaux, avec notamment un projet d’harmonisation plus poussée des règles entre États membres.
L’émergence de nouveaux indices boursiers dédiés aux valeurs moyennes innovantes devrait améliorer leur visibilité et attirer davantage d’investisseurs institutionnels. Ces indices thématiques permettent de regrouper des entreprises partageant des caractéristiques similaires en termes de secteur, de taille ou de profil de croissance.
Le développement de labels d’investissement spécifiques aux PME cotées constitue une autre voie prometteuse. Sur le modèle du succès rencontré par le PEA-PME, ces dispositifs pourraient orienter l’épargne des particuliers et des investisseurs institutionnels vers les entreprises en croissance.
- Création de fonds de stabilisation dédiés pour intervenir en cas de volatilité excessive sur certains titres
- Développement de plateformes de négociation avec des mécanismes d’appariement adaptés aux titres peu liquides
- Mise en place de programmes de recherche académique sur l’efficience des marchés de croissance PME
- Renforcement des incitations fiscales pour l’investissement de long terme dans les PME innovantes cotées
L’évolution des marchés de croissance des PME et la transformation de la gouvernance des sociétés anonymes marquent un tournant dans le paysage financier français. Les mesures déployées pour renforcer la liquidité des titres tout en adaptant les exigences réglementaires répondent à un besoin fondamental : faciliter l’accès des entreprises innovantes aux financements par le marché. Si des défis persistent, notamment en matière de volatilité et d’attraction des investisseurs institutionnels, les bases d’un écosystème financier plus favorable aux PME sont désormais posées. Dans un contexte économique exigeant une compétitivité accrue, ces évolutions pourraient bien constituer un levier stratégique pour le développement des champions français de demain.
