La perte d’un proche représente un moment de vulnérabilité extrême, où les familles endeuillées doivent prendre des décisions rapides concernant les obsèques. Cette fragilité émotionnelle devient parfois le terrain de pratiques commerciales douteuses de la part de certains professionnels du secteur funéraire. La facturation injustifiée constitue l’une des formes d’escroquerie les plus répandues dans ce domaine. Des prestations non réalisées aux suppléments dissimulés, en passant par les prix gonflés artificiellement, ces pratiques frauduleuses touchent des milliers de familles chaque année en France. Face à ce phénomène en hausse, il devient primordial de comprendre les mécanismes de ces escroqueries, le cadre juridique qui les sanctionne, et les moyens dont disposent les victimes pour se défendre.
Le cadre juridique des services funéraires en France
Le secteur funéraire français est encadré par un ensemble de textes législatifs visant à protéger les familles endeuillées tout en garantissant la dignité des défunts. La loi du 8 janvier 1993 a constitué une réforme majeure en mettant fin au monopole communal et en ouvrant le secteur à la concurrence. Cette libéralisation s’est accompagnée d’un renforcement des obligations de transparence et d’information.
Le Code général des collectivités territoriales (CGCT) régit l’essentiel des dispositions relatives aux opérations funéraires, notamment dans ses articles L.2223-19 à L.2223-46. Ces textes définissent précisément les contours du service extérieur des pompes funèbres et les obligations des opérateurs funéraires.
L’arrêté du 11 janvier 1999, modifié par l’arrêté du 3 août 2011, impose aux entreprises funéraires de remettre aux familles un devis détaillé, gratuit et conforme à un modèle normalisé. Ce document doit distinguer clairement :
- Les prestations obligatoires (cercueil, mise en bière, transport du corps…)
- Les prestations optionnelles (soins de conservation, cérémonies, fleurs…)
- Les frais avancés pour le compte de la famille (taxes, publications…)
La loi consommation du 17 mars 2014, dite loi Hamon, a renforcé cette transparence en imposant aux entreprises funéraires de déposer leurs devis-types en mairie et en préfecture. Cette obligation vise à faciliter la comparaison des tarifs par les familles.
Le Code de la consommation offre une protection complémentaire, notamment à travers ses dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses (article L.121-2) et agressives (article L.121-7). Ces textes sont particulièrement pertinents dans le contexte funéraire où l’état de vulnérabilité des clients est manifeste.
Enfin, le Code pénal sanctionne spécifiquement l’escroquerie à travers son article 313-1, qui la définit comme « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». La peine encourue peut atteindre cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
Ce cadre juridique, bien que solide, se heurte souvent à la réalité du terrain où les pratiques abusives persistent, profitant de la méconnaissance des textes par les familles et de leur état de détresse psychologique.
Anatomie des escroqueries funéraires : typologie des facturations injustifiées
Les mécanismes d’escroquerie dans le secteur funéraire prennent des formes variées, mais reposent généralement sur l’exploitation de la vulnérabilité émotionnelle des familles et leur méconnaissance des procédures. Plusieurs schémas récurrents peuvent être identifiés.
La surfacturation délibérée
Cette pratique consiste à appliquer des tarifs excessifs, sans rapport avec les coûts réels des prestations ou les prix du marché. Les agents funéraires peu scrupuleux profitent de l’urgence de la situation et du manque de temps pour comparer les offres. Une étude de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) révèle que les écarts de prix peuvent atteindre 300% pour des prestations identiques entre différents opérateurs.
Les éléments les plus fréquemment surfacturés concernent :
- Les cercueils, dont les caractéristiques techniques sont difficilement vérifiables par les familles
- Les capitons et ornements intérieurs
- Les frais de transport du corps
- Les soins de conservation (thanatopraxie)
La facturation de prestations non réalisées
Certains opérateurs funéraires facturent des services qui n’ont jamais été fournis, comptant sur l’état de choc des familles qui ne vérifieront pas systématiquement chaque élément. Cette pratique peut concerner :
Les soins de présentation du défunt, facturés mais non effectués ou réalisés partiellement. Les démarches administratives présentées comme complexes et chronophages alors qu’elles sont parfois minimes. La toilette mortuaire, qui peut être facturée alors même que le corps n’a pas été préparé comme convenu. Les veillées funéraires dont la durée réelle est inférieure à celle facturée.
L’ajout de prestations non demandées
Cette stratégie consiste à inclure dans le contrat des prestations que la famille n’a pas expressément sollicitées. L’agent funéraire présente ces services comme « habituels » ou « recommandés », laissant entendre qu’ils sont indispensables. On retrouve fréquemment :
Des ornements funéraires luxueux (plaques, fleurs, décorations). Des cérémonies complémentaires non demandées. Des options d’impression coûteuses pour les faire-part. Des services de porteurs supplémentaires au-delà du nombre nécessaire.
La dissimulation des frais
Cette technique consiste à masquer certains coûts lors de la présentation initiale du devis, pour les faire apparaître ultérieurement comme « inévitables ». Les frais cachés peuvent concerner :
Les taxes municipales et frais de cimetière présentés comme variables alors qu’ils sont connus à l’avance. Les suppléments pour intervention le week-end non mentionnés initialement. Les frais de dossier ou de gestion ajoutés à la dernière minute. Les coûts liés à la conservation temporaire du corps en chambre funéraire.
La vente sous pression
Cette pratique particulièrement répréhensible consiste à exercer une pression psychologique sur les proches pour les inciter à choisir rapidement des prestations haut de gamme. Les commerciaux funéraires peu éthiques jouent sur la culpabilité (« Vous ne voudriez pas offrir moins à votre père ») ou l’urgence factice (« Il faut décider maintenant, nous avons d’autres familles en attente »).
Ces différentes formes d’escroquerie s’appuient toutes sur un même constat : les familles endeuillées sont rarement en capacité d’exercer leur discernement habituel et de comparer sereinement les offres. Cette vulnérabilité, reconnue par la loi, justifie la protection renforcée dont elles devraient bénéficier.
Études de cas : exemples jurisprudentiels marquants
L’analyse de la jurisprudence relative aux escroqueries funéraires permet d’identifier les mécanismes frauduleux récurrents et d’évaluer la réponse judiciaire à ces pratiques. Plusieurs affaires emblématiques méritent d’être examinées.
L’affaire des Pompes Funèbres du Sud-Ouest (2018)
Cette affaire, jugée par le Tribunal correctionnel de Bordeaux, concernait un réseau d’agences funéraires ayant mis en place un système de facturation frauduleux. Les investigations ont révélé que l’entreprise majorait systématiquement de 30 à 50% le prix des cercueils. La technique consistait à présenter aux familles des modèles d’entrée de gamme tout en facturant des cercueils haut de gamme.
Le gérant de l’entreprise et trois de ses commerciaux ont été condamnés à des peines allant de 18 mois avec sursis à 3 ans de prison ferme, assorties d’amendes cumulées de 180 000 euros. Le tribunal a particulièrement insisté sur « l’exploitation cynique de la détresse des familles » et le « caractère organisé des fraudes ».
Cette affaire a mis en lumière l’importance d’un contrôle effectif de la conformité entre les prestations vendues et celles réellement fournies, notamment pour les éléments difficilement vérifiables par les familles comme la qualité des cercueils.
Le jugement de la Cour d’appel de Lyon (2016)
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Lyon a confirmé la condamnation d’un agent funéraire qui avait systématiquement facturé des soins de conservation (thanatopraxie) non réalisés. Sur une période de trois ans, plus de 200 familles avaient été victimes de cette pratique.
La particularité de cette affaire réside dans la méthodologie employée par les enquêteurs : l’analyse croisée des factures émises par l’entreprise funéraire et des registres des thanatopracteurs diplômés de la région a permis de démontrer l’impossibilité matérielle de réalisation des prestations facturées.
La Cour a qualifié les faits d’escroquerie aggravée, considérant que « l’état de faiblesse psychologique des victimes » constituait une circonstance aggravante. Une peine de deux ans d’emprisonnement dont un an ferme a été prononcée, assortie d’une interdiction définitive d’exercer dans le secteur funéraire.
L’arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2019
Cet arrêt de principe de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (pourvoi n°18-81.064) a précisé les contours de la qualification d’escroquerie dans le contexte funéraire. L’affaire concernait un réseau d’agents funéraires qui proposait systématiquement aux familles des « forfaits obsèques » incluant des démarches administratives facturées à des tarifs exorbitants.
La Haute juridiction a confirmé que « le fait de facturer à un prix manifestement excessif des prestations administratives simples, en profitant de l’ignorance et de la vulnérabilité de personnes endeuillées, constitue l’emploi de manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie ».
Cette décision fait désormais jurisprudence et permet de qualifier d’escroquerie des pratiques qui auraient pu autrefois être considérées comme de simples abus commerciaux.
L’affaire des Pompes Funèbres Unies (2020)
Cette affaire récente, jugée par le Tribunal correctionnel de Marseille, illustre la complexité des montages frauduleux dans le secteur. L’entreprise avait mis en place un système sophistiqué de double facturation : les prestations étaient facturées une première fois aux familles, puis une seconde fois aux compagnies d’assurances lorsque les défunts bénéficiaient d’un contrat obsèques.
Les investigations menées par la Brigade de répression des fraudes ont permis d’identifier plus de 300 cas de double facturation sur une période de cinq ans. Le préjudice total a été estimé à plus de 1,2 million d’euros.
Les deux dirigeants de l’entreprise ont été condamnés à quatre ans d’emprisonnement dont deux fermes et à une amende de 300 000 euros. Le tribunal a ordonné la confiscation des biens acquis avec les fonds détournés, notamment deux propriétés de luxe dans le Sud de la France.
Ces différentes affaires illustrent la diversité des mécanismes frauduleux et la sévérité croissante des juridictions face à ces pratiques qui exploitent la vulnérabilité des familles endeuillées. Elles démontrent que le droit pénal offre des outils efficaces pour sanctionner ces comportements, à condition que les preuves puissent être rassemblées.
Mécanismes de prévention et de protection des familles
Face aux risques d’escroquerie dans le secteur funéraire, plusieurs dispositifs préventifs ont été mis en place par le législateur et les autorités de régulation. Ces mécanismes visent à protéger les familles en amont et à faciliter la détection des pratiques abusives.
La transparence tarifaire imposée par la loi
Le dispositif le plus connu est l’obligation de transparence tarifaire. Depuis l’arrêté du 11 janvier 1999, les entreprises funéraires doivent remettre gratuitement aux familles un devis écrit et détaillé. Ce document doit présenter de façon claire et précise :
- La nature et le prix de chaque prestation
- Le caractère obligatoire ou facultatif de chaque prestation
- Les frais avancés pour le compte de la famille (taxes, publications…)
La loi Hamon de 2014 a renforcé ce dispositif en imposant aux opérateurs funéraires de déposer leurs modèles de devis auprès des mairies où ils ont leur siège social ou des établissements secondaires. Ces documents sont consultables par tous les citoyens, permettant une comparaison des tarifs avant même de contacter les entreprises.
Cette transparence est complétée par l’obligation d’affichage des prix dans les locaux des entreprises funéraires, conformément à l’arrêté du 23 août 2010. Cet affichage doit mentionner le prix des prestations courantes et des fournitures, ainsi que les conditions de paiement.
Le rôle des contrôles administratifs
La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) joue un rôle central dans la prévention des escroqueries funéraires. Ses agents réalisent régulièrement des opérations de contrôle ciblées sur le secteur funéraire.
Ces contrôles portent notamment sur :
- La conformité des devis et factures aux exigences légales
- L’exactitude des informations communiquées aux familles
- Le respect des règles d’affichage des prix
- La vérification de l’habilitation des opérateurs funéraires
Les résultats de ces contrôles sont préoccupants : selon le dernier rapport d’activité de la DGCCRF, près de 30% des établissements contrôlés présentent des anomalies, allant de simples manquements formels à de véritables pratiques frauduleuses.
En cas d’infraction constatée, les agents peuvent prononcer des avertissements, des injonctions de mise en conformité, des amendes administratives, ou transmettre le dossier au Procureur de la République pour les cas les plus graves.
L’encadrement des pratiques commerciales
Le Code de la consommation interdit les pratiques commerciales trompeuses et agressives, particulièrement pertinentes dans le contexte funéraire. Sont ainsi prohibées :
Les allégations fausses ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques essentielles du service. L’omission d’informations substantielles nécessaires à un choix éclairé. L’exploitation de la vulnérabilité ou de l’état de faiblesse du consommateur. Les sollicitations répétées et non désirées par téléphone ou à domicile.
La jurisprudence a confirmé que le démarchage à domicile dans les jours suivant un décès pouvait constituer une pratique commerciale agressive, sanctionnée par deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Les initiatives sectorielles et associatives
Parallèlement aux dispositifs légaux, des initiatives professionnelles et associatives contribuent à la protection des familles :
La Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie (CPFM) a élaboré une charte éthique que ses adhérents s’engagent à respecter. Cette charte va au-delà des obligations légales et promeut des pratiques commerciales respectueuses.
Des associations de consommateurs comme l’UFC-Que Choisir ou la CLCV publient régulièrement des enquêtes comparatives sur les tarifs funéraires et proposent des guides pratiques pour aider les familles.
Des services d’assistance funéraire indépendants se développent pour accompagner les familles dans leurs démarches, vérifier la conformité des devis et négocier avec les opérateurs funéraires.
Ces mécanismes de prévention, bien que perfectibles, offrent un cadre protecteur qui permet de limiter les risques d’escroquerie. Leur efficacité dépend toutefois de leur connaissance par les familles et de la capacité des autorités à effectuer des contrôles réguliers.
Recours et actions juridiques pour les victimes
Lorsqu’une famille estime avoir été victime d’une facturation injustifiée ou d’une escroquerie funéraire, plusieurs voies de recours s’offrent à elle. Ces démarches peuvent être engagées simultanément ou successivement, en fonction de la gravité des faits et des objectifs poursuivis.
La réclamation directe auprès de l’entreprise funéraire
La première démarche consiste à formaliser une réclamation écrite auprès de l’entreprise funéraire concernée. Cette lettre recommandée avec accusé de réception doit :
- Détailler précisément les griefs (prestations non fournies, surfacturation, etc.)
- Joindre les preuves disponibles (devis, factures, témoignages, photographies)
- Formuler une demande claire (remboursement partiel, geste commercial)
- Fixer un délai de réponse raisonnable (généralement 15 jours)
- Mentionner les suites envisagées en l’absence de réponse satisfaisante
Cette démarche préalable est souvent exigée avant toute procédure judiciaire et peut permettre un règlement amiable du litige. Certaines entreprises préfèrent éviter une mauvaise publicité et acceptent de transiger, notamment lorsque les preuves sont solides.
Le signalement aux autorités administratives
Parallèlement à la réclamation directe, il est recommandé de signaler les pratiques litigieuses aux autorités compétentes :
La Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) peut être saisie via le formulaire en ligne SignalConso. Ses agents ont le pouvoir d’effectuer des contrôles dans l’entreprise mise en cause et de sanctionner les manquements constatés.
Le Préfet du département, qui délivre les habilitations funéraires, peut être informé des manquements graves. Il dispose du pouvoir de suspendre ou de retirer l’habilitation d’un opérateur, ce qui constitue une sanction particulièrement dissuasive.
La mairie de la commune où est implantée l’entreprise, qui joue un rôle dans la régulation du secteur funéraire, notamment à travers le dépôt obligatoire des devis-types.
Ces signalements contribuent à la détection des opérateurs problématiques et peuvent déclencher des contrôles ciblés, bénéfiques à l’ensemble des consommateurs.
La médiation de la consommation
Depuis 2016, les professionnels du secteur funéraire doivent proposer à leurs clients l’accès à un dispositif de médiation de la consommation. Cette procédure gratuite et confidentielle permet l’intervention d’un tiers impartial pour faciliter la résolution du litige.
Le médiateur examine les arguments des deux parties et propose une solution équitable, que les parties sont libres d’accepter ou de refuser. Plusieurs médiateurs sont compétents pour le secteur funéraire, notamment le Médiateur de la Consommation des Professions Funéraires (MCPF).
La médiation présente plusieurs avantages :
- La rapidité (résolution en quelques semaines contre plusieurs mois pour une procédure judiciaire)
- La gratuité pour le consommateur
- La préservation des relations avec l’entreprise
- La suspension des délais de prescription pendant la durée de la médiation
Cette voie est particulièrement adaptée aux litiges de montant modéré ou lorsque la mauvaise foi de l’entreprise n’est pas manifeste.
Les actions judiciaires civiles
Lorsque les démarches amiables échouent, plusieurs recours judiciaires sont envisageables :
Pour les litiges inférieurs à 5 000 euros, le tribunal de proximité est compétent. La procédure est simplifiée et ne nécessite pas obligatoirement l’assistance d’un avocat.
Pour les litiges plus importants, le tribunal judiciaire devient compétent. La représentation par un avocat est alors obligatoire.
Les associations de consommateurs agréées peuvent exercer une action en représentation conjointe lorsque plusieurs consommateurs ont subi des préjudices similaires causés par un même professionnel.
L’action civile permet d’obtenir la nullité du contrat entaché de vices du consentement (dol, erreur) et/ou des dommages-intérêts compensant le préjudice subi.
La plainte pénale
Dans les cas les plus graves, lorsque les éléments constitutifs d’une infraction semblent réunis, le dépôt d’une plainte pénale est recommandé. Cette plainte peut être déposée :
Auprès d’un service de police ou de gendarmerie, qui transmettra au Procureur de la République. Directement auprès du Procureur de la République par courrier recommandé. Avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, si le Procureur a classé sans suite une première plainte.
Les qualifications pénales potentiellement applicables sont :
- L’escroquerie (article 313-1 du Code pénal) : 5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende
- L’abus de faiblesse (article 223-15-2 du Code pénal) : 3 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende
- La pratique commerciale trompeuse (article L.132-2 du Code de la consommation) : 2 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende
La voie pénale présente l’avantage de faire supporter la charge de l’enquête aux services de police et au parquet. Elle permet des mesures d’investigation impossibles dans un cadre civil (perquisitions, auditions sous serment, expertises judiciaires).
Ces différentes voies de recours ne sont pas exclusives les unes des autres. Une stratégie efficace consiste souvent à combiner plusieurs approches, en commençant par les démarches les moins contraignantes avant d’escalader vers des procédures plus formelles si nécessaire.
Vers une éthique renouvelée des services funéraires
Au-delà des mécanismes répressifs et des recours individuels, la lutte contre les escroqueries funéraires passe par une transformation profonde du secteur. Cette évolution requiert l’implication de tous les acteurs concernés : professionnels, régulateurs, associations et consommateurs.
La formation et la professionnalisation des acteurs du funéraire
Le secteur funéraire français a connu une professionnalisation croissante ces dernières décennies, mais des progrès restent nécessaires. Plusieurs pistes méritent d’être explorées :
Le renforcement des exigences de formation initiale pour les conseillers funéraires. Actuellement, un diplôme de niveau CAP est suffisant pour exercer ce métier délicat. Une élévation du niveau de qualification permettrait d’attirer des profils plus diversifiés et de valoriser la dimension éthique du métier.
L’intégration systématique d’un module d’éthique commerciale dans la formation des professionnels du secteur. Cette sensibilisation aux enjeux déontologiques pourrait être assurée par des psychologues et des spécialistes du deuil, afin de mieux comprendre la vulnérabilité des familles.
La mise en place d’un système de formation continue obligatoire, sur le modèle de ce qui existe pour d’autres professions en contact avec des publics vulnérables. Cette formation pourrait inclure des mises à jour régulières sur la réglementation et les bonnes pratiques.
La refonte des modèles économiques du secteur
Les dérives constatées sont parfois liées à des modèles économiques qui incitent à la vente forcée et à la maximisation du chiffre d’affaires par dossier. Plusieurs évolutions sont envisageables :
La remise en question du système de commissionnement individuel des conseillers funéraires, qui peut encourager les pratiques commerciales agressives. Certaines entreprises expérimentent déjà des modèles de rémunération alternative, basés sur la satisfaction client plutôt que sur le volume de ventes.
Le développement de nouveaux services à valeur ajoutée, distinctifs de la simple vente de produits funéraires. L’accompagnement psychologique des familles, le suivi post-obsèques ou l’organisation de cérémonies personnalisées représentent des opportunités de diversification éthique.
La transparence sur la structure des coûts, en distinguant clairement la part correspondant aux fournitures, aux prestations et à la marge commerciale. Cette démarche, adoptée par certains opérateurs alternatifs, contribue à restaurer la confiance des familles.
L’implication des collectivités territoriales
Les communes disposent de leviers significatifs pour favoriser des pratiques funéraires éthiques :
La publication et la diffusion active des comparatifs de prix déposés en mairie, par exemple sous forme de tableaux synthétiques facilement compréhensibles. Certaines collectivités ont développé des applications numériques permettant de comparer instantanément les offres disponibles localement.
La création d’un service municipal d’information funéraire, distinct des opérateurs commerciaux, pour orienter les familles et les informer de leurs droits. Des expérimentations concluantes existent dans plusieurs grandes villes françaises.
L’intégration de critères éthiques et sociaux dans les appels d’offres pour la gestion des équipements funéraires publics (crématoriums, chambres funéraires). Ces cahiers des charges peuvent inclure des engagements précis en matière de transparence tarifaire et de qualité de service.
L’évolution des pratiques de contrôle
L’efficacité des dispositifs réglementaires dépend largement de la réalité des contrôles effectués :
Le renforcement des moyens de la DGCCRF dédiés au secteur funéraire permettrait d’augmenter la fréquence des contrôles et d’assurer un meilleur maillage territorial. Actuellement, certaines entreprises ne sont contrôlées qu’à plusieurs années d’intervalle.
L’utilisation de techniques d’enquête innovantes, comme les « clients mystères », déjà expérimentées dans d’autres secteurs, pourrait révéler des pratiques dissimulées lors des contrôles traditionnels.
La coordination renforcée entre les différentes autorités compétentes (DGCCRF, préfectures, parquets) favoriserait une réponse graduée et cohérente face aux infractions constatées.
L’émergence de nouveaux acteurs et modèles
Le secteur funéraire connaît l’émergence d’acteurs alternatifs qui contribuent à faire évoluer les pratiques :
Les coopératives funéraires, inspirées du modèle québécois, proposent une approche non lucrative où les familles deviennent sociétaires de l’entreprise. Ce modèle réduit structurellement les risques de pratiques abusives.
Les plateformes numériques de comparaison et d’intermédiation funéraire apportent une transparence inédite et facilitent la mise en concurrence des opérateurs traditionnels.
Les conseillers funéraires indépendants, qui accompagnent les familles dans leurs choix sans être liés à un opérateur particulier, représentent une évolution prometteuse vers une séparation du conseil et de la vente.
Ces transformations multiples dessinent progressivement un secteur funéraire plus éthique, où la qualité du service et le respect des familles priment sur les considérations purement commerciales. Cette évolution nécessite l’engagement de tous les acteurs concernés et une vigilance constante des autorités régulatrices.
La lutte contre les facturations injustifiées dans le secteur funéraire ne relève pas uniquement de la répression des fraudes, mais d’une refondation globale de la relation entre les professionnels et les familles endeuillées. C’est à cette condition que le secteur pourra pleinement honorer sa mission essentielle : accompagner dignement les défunts et leurs proches dans ce moment de fragilité.
